Notre héritage partagé des ressources naturelles

Un billet de blog par Simon Taylor, Saswati Swetlena, Mike McCormack, Patrick Bond et Rahul Basu.

Ce blog fait partie d’une série mandatée par le sous-comité stratégique de PCQVP (composé de membres du Conseil mondial, du Conseil d’administration et du Comité de pilotage pour l’Afrique de PCQVP). Les propositions et les positions de chacun·e des auteur·e invité·e n’ont pas été approuvées par PCQVP : PCQVP les a invité·e·s à les partager en vue de stimuler une réflexion collective en préparation de notre prochaine stratégie mondiale.

Nous vivons une époque invraisemblable. Malgré les engagements de la COP28 envers l’élimination graduelle des combustibles fossiles, rien n’indique que nous arrêterons de produire du pétrole et du gaz. De plus, nous continuons à extraire des quantités accrues de minerais en vue du développement et de la transition énergétique.

En ce faisant, nous bafouons les droits des communautés locales, des peuples autochtones et de l’environnement. Le système actuel est clairement inéquitable et pose une question profondément morale : de quel type de planète et de société nos enfants et les futures générations hériteront-ils ?

Anti-extractivisme et nationalisme des ressources

Presque tout le monde a des objections à faire à l’exploitation minière d’une manière ou d’une autre, que ce soit celle qui a lieu dans notre village ou celle du charbon dans le monde, celle dans les océans ou celle dans les zones protégées. 

Cependant, presque personne n’exige un arrêt complet de toutes les formes d’extraction à l’échelle de la planète. Parce que cela signifierait plus de téléphones, de voitures ou de plastique, de fer ou d’or, et tout le monde devrait vivre dans des maisons faites de matières organiques. Ceci paraît impensable, et les conditions de vie de nombreuses personnes doivent encore être améliorées.

Dans les pays riches en minerais, deux visions existent simultanément.  À l’échelle locale, les communautés anti-extractivistes élèvent avec raison une objection à l’exploitation minière sur leur territoire, tandis qu’à l’échelle nationale, on espère que la vente de minerais aidera à éliminer la pauvreté et engendrer la prospérité. Comment pouvons-nous réconcilier ces perspectives ?

Les ressources naturelles : un héritage partagé

Si l’extraction doit avoir lieu, toutes les parties prenantes doivent être traitées de manière équitable : les extracteurs, les employé·e·s et les contractants, les gouvernements, les communautés locales, l’environnement, etc. Cependant, une partie prenante clé est généralement oubliée : le·la propriétaire des minerais avant l’extraction.

Les États-nations disposent d’une souveraineté permanente sur leurs ressources naturelles. La propriété des minerais est généralement imputée à un certain niveau de l’administration gouvernementale qui représente un collectif (état/province, tribu, etc.). Les minerais leur sont ainsi confiés au nom de ceux et celles qui constituent le collectif.  Le collectif étant une entité multigénérationnelle et perpétuelle, toutes les générations futures ont également un droit sur les ressources naturelles.

Si nous considérons les ressources naturelles comme un héritage partagé, l’extraction est une conversion des richesses minérales en d’autres formes de richesses aux yeux du propriétaire des minerais. L’équité et la durabilité intergénérationnelles exigent que nous garantissions que les générations futures héritent d’au moins autant que ce que nous avons hérité. 

Nous avons alors deux choix. 

Soit l’anti-extractivisme qui consiste à ne pas exploiter les minerais. Nos enfants en hériterons comme ce fut notre cas. C’est la seule manière d’aboutir à l’équité intergénérationnelle.

Soit le nationalisme des ressources qui consiste à extraire et investir les ressources, afin que nos enfants héritent d’un total d’actifs d’une valeur au moins égale à celle des minerais extraits.

Comment les populations peuvent-elles profiter de leurs ressources naturelles, à présent et dans l’avenir ?

Si l’extraction consiste essentiellement en une conversion des richesses, l’extracteur est alors uniquement un prestataire de services de gestion des richesses qui devrait être géré, réglementé et payé en conséquence. 

L’objectif du gouvernement représentant le propriétaire des minerais devrait être qu’aucune valeur ne soit perdue lors du processus de conversion. Malheureusement, les pertes sont souvent considérables, et les gains sont traités comme des revenus et sont dépensés

Le désir de richesses et de contrôle du pouvoir de l’extracteur, des hommes et femmes politiques et de leurs acolytes, motive la plupart des violations des droits humains et des dégâts environnementaux liés à l’extraction. 

Les générations actuelles et futures sont ainsi privées d’une partie de leur héritage. De plus, comme par ironie du sort, les richesses qui leur sont usurpées sont utilisées pour alimenter le système corrompu. 

Afin de parvenir à une exploitation minière équitable, outre l’objectif de vendre les richesses minérales sans aucune perte, l’ensemble des recettes issues des ventes de minerais doit être investi dans des actifs dont la valeur est préservée de génération en génération. Traditionnellement, ces actifs étaient les terres, les pierres et métaux précieux. Aujourd’hui, le fonds pétrolier norvégien, fonds de dotation protégé contre l’inflation, est à raison considéré comme une bonne pratique d’épargne en faveur des générations futures. 

Les revenus du fonds devraient être distribués de manière équitable à l’ensemble de la population comme un dividende de biens communs. Les générations futures hériteront du fonds et en profiteront. 

Le dividende crée essentiellement un lien entre la population entière, et leurs fonds et héritages minéraux, ce qui augmente en pratique la probabilité de ne générer aucune perte.

D’un point de vue économique, le fonctionnement de ce fonds est clairement plus avancé que la bonne pratique courante. Il est surtout équitable.

Les cinq principes d’une extraction équitable
1. Appartient à tous·tes: Les citoyen·ne·s sont les propriétaires des minerais.
2. Appartient à tous·tes les générations futures: Les minerais appartiennent à nous, à nos enfants, à leurs enfants…
3. Obtient tout : Toute perte issue de l’exploitation minière est irrécouvrable. Nous devons en obtenir la valeur intégrale !
4. Épargne tout : Épargne la valeur dans un fonds destiné aux générations futures.
5. Partage tout : Distribue tous les revenus du fonds à tous·tes de manière équitable. Il s’agit d’un dividende citoyen.

 

Mais ce n’est pas tout. L’extraction a des répercussions sur les autres héritages et l’exploitation minière équitable exige qu’ils soient également pris en compte :

  1. Nous devons créer des zones interdites afin de protéger l’environnement et les communautés locales selon le principe de précaution. Nous devons garantir le consentement libre, préalable et éclairé (CLPE) des communautés locales, établir des règlements environnementaux stricts et interdire les pratiques potentiellement à haut risque. Nous devons plafonner l’extraction sur de multiples projets afin de limiter les dommages cumulatifs.Selon le principe pollueur-payeur, nous devons exiger la hiérarchie d’atténuation : éviter, minimiser, restaurer, compenser. Nous devrions léguer aux générations futures un plus grand nombre de forêts, des cours d’eau plus purs, etc. que ce que nous avons. Les projets d’exploitation minière devraient améliorer l’environnement et la situation de la communauté, pas juste éviter de lui nuire.

    Certains minerais, tels que les combustibles fossiles, ont des répercussions transnationales qui requièrent de nouveau à la fois un plafonnement de l’extraction à l’échelle mondiale et une compensation pour les pertes et dommages.

  1. Les emplois et les revenus générés par l’extraction sont également des opportunités léguées qui s’épuisent au fur et à mesure de l’extraction, ce qui explique les demandes généralisées en contenu local, passation de marchés et emplois locaux. Les propriétaires de minerais doivent avoir priorité d’accès à ces opportunités. De plus, l’extraction doit être plafonnée pour garantir que les générations futures puissent également bénéficier des revenus de l’extraction.
  2. De la même manière, l’opportunité d’utiliser les minerais à des fins utiles est un héritage ponctuel de valeur. Certains pays considèrent par conséquent certains de leurs minerais comme étant des réserves stratégiques pour les générations futures tout en important d’autres pour leurs besoins actuels. 
  3. L’opportunité d’utiliser l’extraction pour développer d’autres aspects de la société constitue un autre type d’héritage. Certains pays ont délibérément utilisé une nouvelle mine pour créer une infrastructure à utilisation partagée à faible surcoût. D’autres pays insistent sur l’ajout de valeur domestique avec pour objectif final de créer des compétences de base. Comme il s’agit d’opportunités ponctuelles, il est essentiel de capitaliser dessus.

Rôle de PCQVP

La protection de grandes richesses héritées contre le vol, la perte ou le gaspillage exige une bonne intendance pour garantir que nous remplissons notre devoir envers les générations futures afin qu’elles héritent d’au moins autant que nous. La communauté de PCQVP pourrait par conséquent organiser des campagnes mondiales sur les points suivants :

  1. Afin d’empêcher le vol lors du processus d’extraction, l’administrateur·rice ou le·la responsable doivent mettre en œuvre un excellent système de contrôle. Cela comprend un système de chaîne d’approvisionnement des minerais de haute sécurité, de bonnes pratiques de sous-traitance des contrats, des auditeur·trice·s de systèmes, un programme de récompense et de protection des lanceur·euse·s d’alerte, etc.
  2. Les richesses de l’humanité ne devraient pas être laissées aux mains d’usurpateur·rice·s. De plus, les minerais jouent souvent un rôle dans le financement du terrorisme et le blanchiment de l’argent. Il est essentiel d’effectuer des tests d’honorabilité et d’aptitude (Fit and Proper tests) (et la diligence raisonnable en matière d’intégrité en général) sur toutes les personnes impliquées dans la gestion de nos richesses.
  3. Il est de notre devoir à tous·tes envers les générations futures de garantir que notre héritage partagé est intact. Par conséquent, les populations, en tant que réels propriétaires de ces richesses, devraient avoir les moyens de vérifier que leur devoir envers les générations futures est rempli. Cela exige une transparence radicale, y compris un libre accès gratuit à toutes les données en temps réel. La loi devrait exiger que les extracteur·rice·s divulguent toutes les informations d’extraction, sans exception. Cela va bien au-delà de la norme de l’ITIE.

Nous n’aboutirons réellement à l’équité et à la durabilité intergénérationnelles que si TOUTES ces conditions sont remplies. Si certaines ne le sont pas, nous usurpons l’héritage des générations futures : mieux vaut alors ne pas toucher aux minerais. Nous espérons qu’un plus grand nombre de coalitions nationales se joindra à nous pour plaider en faveur d’une approche d’héritage partagé de richesses minérales et des matières extractives. Ensemble, nous pouvons obtenir de grands changements !

 

Coauteur·e·s :

Simon Taylor, cofondateur et membre du Conseil d’administration de Global Witness, et cofondateur de PCQVP

Saswati Swetlena, coordinatrice nationale de la Mineral Inheritors Rights Association (coalition PCQVP Inde)

Mike McCormack, directeur de Policy Forum Guyana

Patrick Bond, professeur émérite et directeur du Centre for Social Change à l’université de Johannesburg

Rahul Basu, directeur de recherches de la Goa Foundation en Inde

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