« Plus que la somme de nos parties » – Repenser les coalitions comme faisant partie d’un mouvement plus fort

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On dit que la guerre ne devrait profiter à personne. Cela a été démontré dans le cas d’un criminel de guerre Sud-Soudanais lorsqu’il y a cinq ans, les banques kényanes ont gelé ses comptes bancaires pour l’empêcher de tirer profit du bain de sang dans son pays. 

En quoi cela concerne-t-il Publiez Ce Que Vous Payez (PCQVP)? 

Parce que ce changement a eu lieu grâce à la formation d’une coalition. 

Dans ce blog, j’examinerai certaines des questions soulevées lors du processus stratégique pour 2030 de PCQVP : quels sont les ingrédients contribuant à l’efficacité des mouvements ? Comment les mouvements peuvent-ils exercer leur pouvoir  au mieux par le biais de campagnes collectives ? Et que cela pourrait-il vouloir dire pour PCQVP ? 

Impact de l’action collective

Le type d’impact recherché par les membres de PCQVP est rarement, voire jamais, le fait d’une organisation agissant seule. Une coalition créative a permis de geler les comptes bancaires kenyans : de nombreuses organisations, leaders et tactiques complémentaires se rassemblant, provenant d’un mouvement plus large, dans un objectif spécifique. Une équipe de réalisation de documentaire, des organisateur·rice·s communautaires, des analystes, des militant·e·s des États-Unis, du Kenya, d’Ouganda, du Royaume-Uni et du Soudan du Sud coordonné·e·s dans les coulisses par mon équipe à Crisis Action

Une fois que la coalition a atteint son objectif, elle a délibérément été dissoute : elle n’était pas une fin en soi, mais uniquement un moyen d’avoir un impact dans un délai spécifique. Une fois l’impact obtenu, la coalition est devenue obsolète. 

Pourtant, l’histoire ne s’arrête pas là : à la suite de cette collaboration, et en particulier étant donné son impact, les membres de la coalition sont resté·e·s en contact dans le cadre d’un mouvement plus large ayant une vision partagée à long terme, prêt et habilité à collaborer de nouveau à l’avenir. Ce mouvement plus large est similaire à PCQVP actuellement à l’échelle mondiale : des coalitions en émergent autour d’objectifs spécifiques, définis dans le temps et axés sur l’impact. Ainsi, 28 coalitions nationales se sont récemment rassemblées pour la campagne #DiscloseTheDeal appelant à la divulgation des contrats, et en 2018, des coalitions d’Afrique de l’Est et australe ont lancé la campagne Show Us the Money. 

Une collaboration percutante est comme un muscle : chaque fois qu’un mouvement utilise son pouvoir en vue d’un impact, elle se renforce. Et si un mouvement n’agit pas en vue d’un impact, le muscle s’atrophie et son pouvoir s’affaiblit, ce que PCQVP ne peut pas se permettre étant donné les opportunités et les défis d’une transition énergétique juste.

Nous devons par conséquent examiner deux aspects : ce qui rend un mouvement puissant et comment ce mouvement peut utiliser ses muscles à l’aide de coalitions percutantes.

À quoi ressemble un mouvement fort

D’après mon expérience de soutien à l’action collective dans le contexte des crises humanitaires, des politiques technologiques, du changement climatique, entre autres, les mouvements puissants comportent quatre dimensions : 1

  • La largeur : diversité d’approches et de représentation des membres du mouvement. Exemple : le mouvement ayant cherché à demander des comptes aux grandes entreprises pharmaceutiques pendant la pandémie de COVID-19. Le mouvement était composé d’initié·e·s de la politique, mais pas de militant·e·s ou de personnes directement affectées par le manque d’accès aux vaccins, qui auraient pourtant pu changer les choses sur le plan politique. Pour finir, comme l’a déclaré un·e membre : « nous avons gagné le débat avec les législateurs, mais nous l’avons perdu sur le plan politique ».
  • La profondeur : capacité (ressources et aptitude) à entreprendre efficacement des activités. Au Soudan du Sud, par exemple, la coalition avait les compétences nécessaires liées au droit financier, à la production de film et à l’organisation de manifestations, et les fonds requis pour ces activités.
  • La relation : communication et communauté qui permettent aux organisations de se spécialiser et de coordonner les activités pour qu’elles puissent être plus que la somme de leurs parties. J’ai travaillé à une campagne visant à forcer le producteur de vins et spiritueux Pernod Ricard à arrêter de vendre à la Russie après l’invasion à grande échelle de l’Ukraine. Le mouvement de solidarité avec l’Ukraine a réussi, car les groupes en Angleterre, Écosse, France et Irlande étaient en relation les uns avec les autres, ce qui leur permettait d’adopter les idées, les messages et les supports qui avaient l’impact le plus important.
  • La légitimité du leadership : un mouvement dynamique comporte de nombreux pôles de leadership, chacun ayant sa propre légitimité, provenant en partie de leur volonté d’écouter d’autres membres du mouvement. Je fais partie de l’équipe de coordination du mouvement européen le plus important visant à un meilleur Internet, People vs Big Tech. Cependant, de nombreux membres du mouvement se portent volontaires pour en assumer la direction, rassemblant d’autres organisations autour d’initiatives spécifiques au service de la mission du mouvement dans son ensemble et qu’aucune d’entre elles ne pourrait accomplir seule.

 

Comment un mouvement fort peut avoir de l’impact

Si un mouvement comme PCQVP peut être diversifié, compétent, bien connecté et jouir d’un leadership légitime, il possède tous les ingrédients nécessaires à des campagnes percutantes. Cependant, comme je le découvre régulièrement dans ma cuisine, un bon repas exige plus que de bons ingrédients. Il faut en effet savoir les utiliser correctement.  

Crisis Action a des décennies d’expérience de rassemblement de réseaux exceptionnels en vue de campagnes percutantes. Son approche innovante a aidé des centaines de milliers de Syrien·ne·s à obtenir une aide humanitaire et a permis d’éviter un potentiel génocide en République centrafricaine. Elle forme l’ADN d’organisations faisant campagne sur le climat et l’impact des GAFAM sur la démocratie

Parmi ses leçons principales, citons :2

    • Participation au lieu de non-participation : les coalitions traditionnelles partent souvent du principe qu’elles doivent soit agir à l’unisson – ce qui risque de diluer l’ambition du dénominateur commun le plus faible, soit ne pas agir du tout. Plutôt que d’essayer de minimiser le nombre d’organisations qui ne participent pas, nous avons essayé de créer un groupe suffisamment important d’organisations qui choisissent de travailler ensemble à un objectif partagé (et celles qui ne choisissent pas de participer à la coalition spécifique peuvent continuer à faire partie du mouvement plus large, prêtes à saisir une nouvelle opportunité de collaborer).
    • Coalitions sur mesure : vous n’avez pas toujours besoin d’une coalition de grande taille pour obtenir le plus grand impact et il est absolument préférable que les personnes les plus compétentes soient impliquées plutôt que celles qui ne le sont pas. C’est le cas au Soudan du Sud où tout a commencé par la stratégie, puis la formation de collectifs de talents et de voix issus du mouvement qui peuvent le mieux mettre en œuvre cette stratégie.
    • Organisateur·rice stratégique : rien de cela ne se produit par accident. Un·e organisateur·rice stratégique qui sert la cause, pas la coalition, est nécessaire. Cette personne a besoin d’être non seulement avisée sur le plan stratégique, mais également humble parce qu’elle doit à la fois écouter et diriger. 
  • Culture avide d’impact : la manière dont le mouvement inspire, ce qu’il récompense et les moments où les membres demandent un retour d’information et partagent leur apprentissage : tous ces éléments peuvent créer un mouvement qui n’est pas juste organisé en vue d’un impact, mais qui en est avide.

 

Prochaine stratégie de PCQVP 2025 à 2030

Que cela pourrait-il vouloir dire pour PCQVP ?

Voici comment PCQVP pourrait mettre en pratique les leçons tirées d’autres coalitions et mouvements réussis.

Un mouvement, pas « seulement » un réseau : un véritable mouvement n’est pas simplement l’agrégation de personnes travaillant sur la même problématique : il devrait être plus que la somme de ses éléments constitutifs. L’accent sur le renforcement du leadership dans l’ensemble du mouvement pourrait en être un élément important.  Il existe tant de leaders d’organisations et de coalitions nationales. Ce qui montre qu’un mouvement est réellement plus que ses parties est qu’un plus grand nombre de leaders sont à l’aise et capables de :

  • – proposer et diriger des coalitions régionales et internationales dans le cadre de la stratégie mondiale du mouvement ; et 
  • – passer d’un rôle national à un plaidoyer mondial. 

Cela exigerait un soutien programmatique en vue de former plus de leaders de mouvement aptes à écouter, ainsi qu’une orchestration stratégique en vue d’une action internationale.

  • Secrétariat comme organisateur stratégique : outre le leadership du mouvement, le secrétariat occupe un rôle particulier d’écoute et de direction : le mandat de former des coalitions engagées volontairement (opt-in coalitions) pourrait lui être octroyé. C’est déjà le cas de PCQVP dans une certaine mesure : différentes coalitions nationales mettent l’accent sur différents éléments de la stratégie mondiale. Le Secrétariat pourrait aller plus loin en testant les idées stratégiques sur le mouvement, en formant des coalitions de membres volontaires qui sont adaptées à ces stratégies, et en leur apportant la coordination et le soutien nécessaires en vue d’une action collective d’impact.

Choix qui s’offrent à nous

Cela va peut-être sans dire : les mouvements ne stagnent pas. Au fur et à mesure que le contexte change, que la base de membres évolue, que d’autres mouvements émergent, PCQVP doit sans cesse s’adapter pour continuer à être plus que la somme de ses parties.

La contribution de tous les membres par le biais d’enquêtes, des représentant·e·s au Conseil mondial, des réunions régionales et plus encore est essentielle à ce processus stratégique. En ce faisant, nous pouvons mettre en pratique les leçons tirées d’autres mouvements et coalitions, maximiser délibérément notre valeur en tant que mouvement et saisir les opportunités d’impact collectif.

Bibliographie

Nick Marlew a près de vingt ans d’expérience dans le façonnement et la direction d’organisations et de réseaux en vue d’une action collective d’impact, dans des secteurs tels que l’humanitaire, la défense des droits humains, les technologies et le climat. Accompagné d’Emily Benson, il soutient PCQVP dans l’élaboration de sa stratégie mondiale 2030

Pour en savoir plus sur les coalitions pour le changement, veuillez lire cet outil de Crisis Action (en anglais) : Creative Coalitions – A Handbook for Change

1 Je m’appuie ici sur les trois dimensions identifiées dans un rapport par Runnymede et l’IPPR, deux organisations qui œuvrent en faveur de la justice raciale et économique.

2 Je m’étends plus sur le modèle innovant et l’expérience de Crisis Action dans le Creative Coalitions handbook.

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