Vers des économies durables dans les pays dépendants du pétrole

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Face à la chute des prix du pétrole et aux répercussions mondiales de la pandémie de Covid-19, la société civile dans les pays tributaires du pétrole doit saisir toutes les chances qui lui sont données d’influencer les politiques à long terme.

Les pays en proie à une épidémie coronavirale qui ne semble pas vouloir s’essouffler doivent affronter une double crise : l’urgence sanitaire et la dévastation économique. Cette combinaison de difficultés s’avère particulièrement problématique pour les pays pétroliers dont l’État est excessivement tributaire de la production de pétrole. En cas de choc pétrolier mondial, des pays tels que l’Irak où les recettes pétrolières représentent plus de 95 % du budget de l’État sont confrontés à des déficits budgétaires exorbitants et ne parviennent plus à satisfaire aux besoins les plus élémentaires de leurs concitoyens.

Pris dans l’engrenage de l’alternance cyclique de l’expansion-récession

L’Irak n’a malheureusement pas eu la prudence de faire appel à des outils et des techniques de gestion des finances publiques pour diversifier son économie ou, du moins, essayer d’échelonner dans le temps ses dépenses pétrolières. Cela lui aurait permis d’isoler et de protéger son économie des fluctuations brutales du marché pétrolier. Au lieu de quoi, ce sont les particuliers qui se retrouvent, comme à l’accoutumée, à payer le prix de mauvaises décisions politiques.

D’après Dr Adnan Bahiya, fondateur et membre de la Coalition irakienne pour la transparence dans les industries extractives, PWYP Irak, la société civile irakienne cherche à faire pression sur le gouvernement pour qu’il réagisse face à la baisse des prix du pétrole. Mais fidèles à leurs habitudes, les autorités attendent simplement que les choses se passent et que les prix remontent, forçant l’économie à suivre un cycle d’expansion/de récession.

« A chaque fois que les prix du pétrole chutent, l’État se retrouve en situation de crise et peine à financer les dépenses budgétaires publiques », explique Adnan Bahiya. « L’État est régulièrement interpelé, notamment par la coalition PWYP Irak, l’alliance irakienne pour la transparence dans les industries extractives, pour qu’il augmente les recettes et diversifie l’économie, mais ces demandes sont rapidement passées sous silence dès lors que les prix du pétrole repartent à la hausse. »

Une approche pérenne

A contraire, le Kazakhstan a mis en place un fonds souverain destiné à éviter qu’une telle crise ne se produise. Ce fonds national met de côté une partie des recettes pétrolières pour que les générations futures puissent en profiter et pour se préparer à des situations qui nécessiteraient de garantir la stabilité des dépenses publiques en cas de choc pétrolier.

Il peut servir à combler les déficits budgétaires engendrés par l’actuelle crise économique, explique Tatiana Sedova, consultante indépendante. « Le Kazakhstan dispose désormais d’une certaine marge de manœuvre financière pour stabiliser ses dépenses publiques, et ce en dépit d’une baisse des recettes publiques, grâce à la possibilité de prélever dans le Fonds national pour créditer le budget de l’État. Le gouvernement veille à ce que ces transferts restent ponctuels et à ce que le rôle premier du Fonds soit préservé, à savoir de réaliser des économies pour l’avenir. Mais nous devons également surmonter les répercussions économiques négatives du Covid-19, et le Fonds national peut également servir à cela. Les citoyens doivent être pleinement informés des montants prélevés et dépensés (et pour quoi) et savoir à combien s’élève la cagnotte restante pour les prochaines générations. »

Miser sur l’avenir

Outre les difficultés économiques rencontrées par les économies tributaires du pétrole, certains producteurs plus récents ou en gestation sont confrontés à une crise budgétaire alors même que l’extraction pétrolière n’a pas commencé. En Ouganda, l’État s’est lourdement endetté pour financer son industrie pétrolière naissante, en contractant des emprunts contre la garantie de recettes pétrolières à venir. En substance, cela signifie que l’État a « dépensé » une partie des recettes pétrolières du pays avant même d’avoir démarré le forage.

Or le contexte dans lequel l’État a conclu ces transactions est bien différent du marché pétrolier actuel : l’économie du secteur pétrolier ougandais semble désormais de moins en moins viable. Si l’État ne parvient pas à produire le moindre baril de pétrole, ce qui le mettrait dans l’impossibilité de rembourser ses emprunts, les citoyens ougandais subiront les conséquences de décisions politiques dans lesquelles ils n’ont pas eu leur mot à dire.

Des alternatives pour stimuler le changement

PWYP a fait de véritables progrès quant au suivi des recettes provenant des secteurs pétrolier, gazier et minier, en veillant à ce que les citoyens en bénéficient et en dénonçant les actes répréhensibles lorsque ce n’est pas le cas. Mais la situation actuelle offre à la société civile de nouvelles perspectives intéressantes :

  • Reconnaître une planification économique risquée afin d’éviter les crises futures

Plutôt que de se contenter de surveiller les flux monétaires et les décisions gouvernementales, la société civile devrait se projeter en avant et influencer les décisions politiques qui se répercuteront sur l’avenir. Pouvons-nous faire appel à notre expertise pour lutter contre toute négligence, non seulement en ce qui concerne les recettes pétrolières actuelles, mais celles du futur, dans l’espoir d’éviter que ne se reproduise une situation telle que celle que les Irakiens vivent actuellement ?

Pour Open Oil, la société civile peut tirer parti des diverses obligations d’information pour lesquelles nous nous battons depuis une dizaine d’années pour faire ses propres prévisions des recettes publiques. Ainsi, la société civile serait en mesure d’évaluer les hypothèses formulées par le gouvernement en matière de prix du pétrole et de recettes attendues et de dénoncer les prises de décision risquées. La société civile pourrait alors réclamer au gouvernement de modifier son budget ou de mettre en place des outils de gestion comptable comme la création d’un Fonds souverain.

« Le moment est venu de mettre à profit les acquis difficilement obtenus par la société civile et les nombreuses divulgations au fil des ans pour contrôler ou modéliser tant l’avenir que le passé », annonce le fondateur d’Open Oil, Johnny West. « Les données et les contrats rendus publics permettent de renseigner toutes sortes d’analyses financières portant sur les ressources naturelles. Combien gagnera l’État cette année ? Pendant combien de temps la production d’énergie fossile va-t-elle pouvoir se poursuivre ? Quelles pressions les entreprises dont le modèle économique est mis à mal par la transition énergétique vont-elles exercer sur les gouvernements et les autres entreprises ? La société civile dispose désormais des moyens de répondre à ces questions et à d’autres et de replacer les réflexions concernant les investissements au cœur de la sphère publique qui fait généralement preuve d’une meilleure anticipation que les pouvoirs publics. Pourquoi se laisser guider quand on peut prendre l’initiative ? »

  • Lutter contre les dettes adossées au pétrole à risque dans les nouveaux pays producteurs

La société civile excelle dans le suivi des dépenses des recettes pétrolières, mais sommes-nous en mesure de surveiller les décisions politiques prises en s’appuyant sur des recettes pétrolières hypothétiques ? Par exemple, sommes-nous capables d’évaluer et de critiquer le plan de gestion de la dette adossée au pétrole de l’Ouganda pour en relever les choix politiques risqués ? Sommes-nous en mesure de dénoncer la contraction d’une dette publique contraire à la loi sur la gestion des finances publiques qui interdit le recours aux recettes pétrolières comme garantie ? PWYP estime que les citoyens doivent pouvoir bénéficier d’informations constructives sur la manière dont les revenus pétroliers sont dépensés. Ainsi, les citoyens ougandais devraient pouvoir opposer leur véto aux décisions prises dans les coulisses des ministères de « dépenser » les recettes pétrolières à venir dans le cadre de contrats de prêt en cours.

Nous pourrions, dans certains cas, recourir à un processus de modélisation pour comparer la longévité prévue d’un projet avec les objectifs de protection du climat, et de voir si ce projet risque de se retrouver « bloqué », ou d’être abandonné. Cela permettrait de savoir si un État s’endette sur la base des recettes prévues pour les 30 prochaines années, alors que, dans la réalité, un projet peut être gelé au bout de 15 ans, privant l’État de liquidités.

  • Promouvoir la diversification économique et sortir de la dépendance aux combustibles fossiles

La situation actuelle ayant clairement exposé les conséquences négatives subies par les économies extractives nous donne un argument de poids pour nous défaire de la dépendance au pétrole. Les citoyens souffrent d’une piètre planification économique et d’une dépendance excessive à l’égard du pétrole. Il est donc temps de convaincre les gouvernements de mieux faire. Ces derniers peuvent diversifier leurs économies nationales en détournant les investissements des matières premières sujettes à l’imprévisibilité des cycles d’expansion et de récession pour les orienter vers des secteurs productifs comme l’éducation ou l’agriculture. Cette démarche assurera une productivité économique durable à long terme. Il est également plus que temps d’encourager la diversification énergétique et les investissements dans des sources d’énergie plus durables, disponibles et exploitables sur le long terme.

Avec la remontée des prix du pétrole, les gouvernements tributaires de cette ressource chercheront à utiliser les pétrodollars pour combler leurs déficits budgétaires. La société civile doit saisir cette occasion pour exiger au contraire qu’ils s’engagent à garantir un avenir économique et énergétique plus durable pour nous tous.

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