Notre collègue et ami, Ali Idrissa, est en prison. En utilisant des accusations montées de toute pièce contre lui pour la troisième fois, le Gouvernement du Niger poursuit un harcèlement scandaleux à l’encontre du mouvement de lutte contre la corruption. Je l’implore de revoir son attitude et de libérer Ali et ses collègues militants immédiatement.
Le Niger, un des plus grands exportateurs mondiaux d’uranium, a un rôle essentiel à jouer pour maintenir la transparence dans les industries extractives. Après sa sortie récente de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE), la principale initiative mondiale de lutte contre la corruption dans les secteurs de l’exploitation minière, pétrolière et gazière, l’arrestation d’Ali marque une nouvelle étape. Le gouvernement ne se contente plus faire marche arrière, il est maintenant en chute libre.
Ali coordonne la Coalition Nationale Publiez Ce Que Vous Payez (PCQVP) au Niger et siège également au sein du Conseil d’administration de PCQVP. J’étais avec lui à Bruxelles en octobre l’année dernière, lors de notre réunion de Conseil d’administration. Quelques jours plus tard, le Niger a été suspendu par l’ITIE à cause de son incapacité à garantir un espace civique – soit une presse libre et une société civile sans restriction – essentiel aux pays pour permettre une transparence efficace ; et pour protéger un secteur générant des milliards de dollars de recettes contre la corruption mondiale.
À l’occasion de notre dernière rencontre, Ali s’inquiétait du fait que la situation ne faisait que s’empirer. Son intuition s’avéra vraie, comme d’habitude. À la suite de sa suspension de l’ITIE, le gouvernement s’est retiré de l’initiative. Et aujourd’hui, Ali se retrouve dans une cellule de prison, où le gouvernement le détient depuis 47 jours.
Les autorités affirment qu’Ali et 26 autres personnes sont coupables d’avoir organisé un rassemblement illégal pour protester contre la nouvelle loi budgétaire – une loi qui, selon les experts et la société civile, est régressive et opaque. Le fait que le gouvernement a tenté d’entraver le droit de manifester, qu’Ali était dans son bureau, comme d’habitude, quand la police l’a appréhendé, que l’Etat a refusé sa libération sous caution et ne fixe aucune date pour son procès, que sa station de radio ait été fermée (une décision rapidement annulée par un juge) nous amène à une conclusion évidente : il s’agit de harcèlement judiciaire.
Bien que ce soit scandaleux, ce n’est guère surprenant. Le gouvernement avait utilisé cette tactique contre Ali à deux reprises, en 2014 et 2017. Les Nigériens et les acteurs internationaux, y compris l’ITIE, ont demandé à maintes reprises aux dirigeants du pays de faire preuve d’un meilleur leadership.
De plus, le cas d’Ali et de ses collègues militants est symptomatique d’une tendance plus générale et inquiétante de gouvernements allant à l’encontre des normes et principes qu’ils prétendent défendre.
Cette semaine marque par ailleurs le rassemblement annuel de la société civile d’un autre organisme pour la transparence au sein des gouvernements : la « semaine de l’OpenGov » du Partenariat pour un gouvernement ouvert (PGO). « La lutte contre la corruption » et « la protection de l’espace civique » font partie des thèmes abordés cette année. Les crises au Niger et dans d’autres pays illustrent clairement à quel point ces objectifs sont essentiels.
Des pays très disparates – l’Azerbaïdjan (qui a également emprisonné des activistes et des journalistes, et fait fermer les médias), le Niger, et l’actuelle administration des États-Unis – ont quitté l’ITIE l’année dernière après la remise en question de leur engagement.
Au Mexique, les groupes de la société civile ont quitté collectivement le processus du PGO l’an dernier, faisant valoir que leur gouvernement n’honore pas ses engagements.
L’année dernière également, en septembre, le gouvernement de la Tanzanie s’est retiré du PGO, tout en créant un climat extrêmement difficile pour la société civile.
Aux Philippines, le gouvernement a publié une « liste des organisations terroristes » qui inclut un certain nombre de militants et de dirigeants autochtones. Ces dirigeants sont connus pour s’être impliqués dans de nombreuses campagnes protestant des sites d’exploitation minière. Le président des Philippines, Rodrigo Duterte, a également prévenu les journalistes qu’ils « ne sont pas sans menaces d’assassinat ».
Cette menace ne présage rien de bon. La liberté de la presse et la sécurité des journalistes sont marqué par une grave crise alors que l’espace civique continue à s’éroder. L’héroïque journaliste maltaise, Daphne Caruana Galizia, a été assassinée lors d’un attentat à la bombe visant sa voiture l’année dernière après avoir découvert un vaste réseau de corruption impliquant des fonctionnaires maltais et azéris. Reporters sans frontières note une hausse des actes hostiles à l’encontre de la presse et d’innombrables manœuvres destinées à faire pression sur ces acteurs.
Et le mois dernier, encore au Niger, le journaliste de télévision Baba Alpha a été emprisonné, séparé de sa famille, déchu de sa citoyenneté et exilé de force au Mali : seulement pour avoir fait son travail.
De toute évidence, des discussions urgentes sont nécessaires au sein de l’ITIE et du PGO, si leur mandat doit trouver un écho là où les activistes en ont le plus besoin.
Mais aujourd’hui, j’ai un appel pressant à formuler. Le Niger doit libérer Ali et ses compatriotes.
Le gouvernement du Niger est en train de violer les droits humains. Et en dissimulant ses transactions d’uranium de manière suspecte, le gouvernement nuit aux chances de prospérité et d’opportunités pour ses citoyens et à la campagne mondiale pour un secteur pétrolier, gazier et minier exempt de toute corruption.
Les dirigeants du Niger perdent en crédibilité sur tous les plans. Les habitants du pays – et le monde dans son ensemble – s’appauvrissent en conséquence.