Pétrole et gaz : se défaire des mauvaises habitudes

Cette article a été initialement publié sur le site Web du Commerce du Levant et partagé ici avec leur permission.

En attendant la formation d’un gouvernement capable de définir et de mettre en œuvre le plan de stabilisation et de redressement économique dont le Liban a urgemment besoin Le Commerce du Levant donne la parole à des experts qui apportent, chacun son domaine, des éléments de réponse à la crise.

Depuis le début de la révolution libanaise, déclenchée par des défis économiques, financiers et politiques majeurs, l’Initiative libanaise pour le pétrole et le gaz (Logi) est soumise à la même question : le secteur prometteur des hydrocarbures sauvera-t-il le Liban d’un effondrement sans précédent ? La découverte de gisements de gaz inversera-t-elle la crise économique actuelle ? Notre réponse est directe et simple : « Non, le pétrole et le gaz ne sauveront pas le Liban de cette crise économique et financière. » Le salut du Liban ne viendra que de la mise en œuvre, aussi vite que possible, de mesures drastiques de lutte contre la corruption et de réformes dans tous les secteurs et les institutions publiques.

Si le développement du secteur des hydrocarbures n’est pas la baguette magique qui sortira le Liban de l’impasse, quels avantages pourrait-il en tirer en ces temps difficiles ?

La décision d’exploiter les ressources naturelles est souvent prise dans l’objectif général de soutenir un développement durable. Le Liban ne fait pas exception. Mais si nous devions compter les pays qui ont réussi à mettre leurs ressources naturelles au service d’un développement durable et éviter la malédiction des ressources, les doigts d’une main suffiraient. La Norvège, la Nouvelle-Zélande, le Chili, la Malaisie, la Thaïlande et le Canada sont de bons exemples. Le reste des pays, malheureusement, se situe à l’autre bout du continuum.

Qu’est-ce qui a permis à ces quelques pays de réussir là où tant d’autres ont échoué ?

Des décennies de recherches et d’analyses ont permis de résumer la réponse en deux mots : bonne gouvernance. La participation, la transparence, la reddition des comptes et l’État de droit (qui sont les piliers fondamentaux de la bonne gouvernance) sont les variables qui déterminent si les ressources naturelles d’un pays seront une bénédiction ou une malédiction.

Pour simplifier, un pays qui veut exploiter ses ressources doit planifier et suivre les étapes suivantes : la signature de contrats et l’attribution des licences, la production, la collecte des revenus, l’allocation des revenus et le développement durable. En 2018, le Liban a attribué les deux premières licences de forage à un consortium composé de trois sociétés pétrolières internationales : Total, Eni et Novatek. L’exploration pétrolière et gazière offshore débutera cette année. Nul ne peut déterminer le temps qu’il faudra au Liban pour passer de la première étape (l’attribution des licences) à la deuxième étape (la production). Un retour rapide sur les expériences dans d’autres pays permet de définir une fourchette spéculative de 3 à 5 ans. Si le Liban veut rejoindre les quelques pays qui sont parvenus à un développement durable en exploitant leurs ressources naturelles, les pratiques de bonne gouvernance doivent être adoptées à chacune de ces étapes.

Les défis actuels

Développer un secteur pétrolier et gazier potentiellement lucratif au sein d’un système défaillant, ravagé par la corruption, le népotisme, l’opacité et le manque de confiance, métaphoriquement, c’est comme planter un myrtillier sur les bords d’une rivière empoisonnée et s’attendre à ce qu’il produise de délicieuses myrtilles nourrissantes. La bonne nouvelle est que nous avons le temps de nettoyer notre “rivière empoisonnée”.

Dans l’indice de perception de la corruption 2019, le Liban a été classé 138e sur 180 pour la sixième année consécutive, signe d’un problème chronique de corruption.

La révolution donne aujourd’hui l’élan nécessaire pour mettre en œuvre des mesures immédiates qui permettront au secteur de s’épanouir et de mettre nos ressources naturelles au service du développement durable.

Il faut reconnaître que certaines mesures de bonne gouvernance ont été prises par le gouvernement durant l’étape de l’attribution des licences (la divulgation des contrats étant importante), mais les mesures suivantes doivent rapidement être adoptées. Leur mise en œuvre et leur impact transcenderont le secteur pétrolier et gazier pour affecter positivement d’autres secteurs au Liban.

La transparence : les inégalités des revenus et des richesses ont nourri l’effondrement économique et financier actuel. Durant l’étape de l’exploration, les détenteurs de licences devront recourir à des sous-traitants pour la fourniture de certains biens et services nécessaires pour exécuter les activités d’exploration (services de revêtement, services transitaires, approvisionnement en carburant, services d’hélicoptères, etc.). Pour le forage qui aura lieu au bloc 4 entre janvier et février, 25 contrats de sous-traitance doivent être attribués pour la fourniture de différents biens et services (certains ont déjà été octroyés). Il est essentiel que l’identité des bénéficiaires réels de ces contrats (propriétaires directs et indirects) soit divulguée de manière complète et transparente. Veiller à ce qu’aucune personne politiquement exposée ne détienne les entreprises qui offrent des biens et des services au secteur pétrolier et gazier au Liban est une condition vitale si l’on veut que les Libanais aient des opportunités égales de bénéficier de ces contrats. Cela contribuera certainement à réduire les inégalités des revenus et des richesses, et pavera la voie à des formes de développement plus durables.

La participation : l’adoption d’une approche participative dans le secteur du pétrole et du gaz, surtout dans le contexte actuel de crise, permettra d’injecter la dose de confiance essentielle pour immuniser ce secteur contre les conflits dus à la corruption et autres fléaux. Un certain nombre de projets de lois sont actuellement examinés par les sous-commissions parlementaires (projet de loi sur le pétrole onshore, la création d’une compagnie pétrolière nationale, la création d’une direction des actifs pétroliers, la création d’un fonds souverain). Les réunions de ces sous-comités doivent être rendues publiques pour que les citoyens puissent participer et observer le processus d’élaboration de ces lois vitales. L’amendement de l’article 34 du règlement du Parlement est nécessaire pour que ces réunions deviennent publiques.

La reddition des comptes : depuis 2010, le Liban génère des revenus de la vente des données sismiques aux sociétés pétrolières internationales intéressées. Une somme de 43,03 millions de dollars a été accumulée à ce jour dans un compte à la Banque centrale, détenu par la ministre sortante de l’Énergie et de l’Eau et le directeur des installations pétrolières. L’adoption des mesures de transparence, comme la divulgation des opérations détaillées du compte, et sa soumission à un audit total indépendant, permettraient aux citoyens de savoir comment ces revenus indirects ont été gérés jusqu’à présent. Les Libanais pourraient ainsi tenir le gouvernement responsable de la façon dont il a géré les fonds jusqu’à présent.

L’État de droit : des lois pertinentes pour assurer la bonne gouvernance du secteur pétrolier et gazier ont été ratifiées entre 2017 et 2019, à savoir la loi sur l’accès à l’information (n° 28/2017) et celle sur le renforcement de la transparence dans le secteur pétrolier (n° 84/2018). La mise en œuvre partielle de ces lois a été la règle plutôt que l’exception. La création immédiate de la Commission nationale de lutte contre la corruption est nécessaire pour garantir l’État de droit.

Il est temps d’agir ! Ces mesures concrètes doivent être adoptées et mises en œuvre le plus tôt possible pour que le Liban puisse profiter à l’avenir des avantages potentiels du secteur pétrolier et gazier. Tout ce qui sera entrepris en dehors de ce cadre ne fera que pousser le Liban à rejoindre le groupe des pays malchanceux subissant la malédiction des ressources. Un changement positif est possible, mais seulement si nous nous défaisons des mauvaises habitudes.

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