Le monde est à la recherche des minerais essentiels à la transition vers l’énergie propre. La semaine dernière, lors du Forum de l’OCDE sur les minerais qui s’est tenu à Paris, des représentant·e·s des gouvernements, des entreprises et de la société civile ont discuté de la manière de s’en approvisionner de manière responsable. Mais pour éviter que les injustices du passé ne se répètent et pour assurer une transition énergétique juste, il ne suffit pas d’imposer des exigences strictes en matière de durabilité. Selon Beverly Besmanos et Alejandro González, les pays riches doivent freiner leur production et leur consommation incessantes de minerais essentiels.
Les pays riches se livrent à une course mondiale aux minerais qui sont essentiels pour garantir que notre planète reste vivable. Ils utilisent déjà six fois plus de ressources naturelles par habitant·e que les pays à faible revenu.
Cette demande est appelée à exploser à mesure que la demande en véhicules électriques s’intensifie. L’essor de l’exploitation minière qui l’accompagne aura des effets sociaux et environnementaux dévastateurs dans le monde entier qu’aucune norme d’exploitation minière responsable ne pourra empêcher.
Il est évident que les plus grandes économies du monde doivent prendre des mesures en faveur du climat et décarboner leur économie le plus rapidement possible. Mais la concurrence géopolitique actuelle entre l’Union Européenne (UE), les États-Unis et la Chine risque de perpétuer un système déjà inégalitaire dans lequel les pays du Nord récoltent les bénéfices économiques, tandis que les coûts environnementaux et sociaux sont supportés par les pays producteurs du Sud.
De la pollution des sols et de l’eau aux déplacements forcés, les peuples autochtones et les communautés locales sont les premiers à subir les conséquences d’une extraction incontrôlée.
Malgré la teinte verte du Green Deal et du règlement sur les matières premières critiques – qui est entrée en vigueur la semaine dernière – de l’UE, ou l’Inflation Reduction Act des États-Unis, toutes ces politiques ont un point commun : il s’agit de stratégies de croissance visant à tirer le maximum de profits de la transition énergétique pour leurs industries respectives.
Un changement systémique dans la mobilité
Le point de départ de toute transition juste devrait être la réduction de la surconsommation de matières premières, en particulier par les riches, dont 1% de la population mondiale émet autant que les deux tiers des plus pauvres de la planète. Selon certaines estimations, 384 nouvelles mines « devront » être creusées dans les 10 prochaines années pour atteindre les objectifs climatiques. L’approche principale devrait toujours consister à examiner comment les économies développées peuvent réduire leur demande en matériaux afin d’éviter l’exploitation des mines.
La majeure partie de la demande de minerais critiques pour la transition concerne les batteries pour les véhicules électriques privés (un bien de consommation), et non les éoliennes ou les panneaux solaires pour l’accès à l’énergie. Par exemple, dans l’UE, la production de voitures électriques représente 50 à 60 % de la demande totale de minerais critiques. Pour le cobalt, le graphite et le lithium, plus de 90 % de la demande est liée aux véhicules électriques.
Toutes les politiques actuelles dites « vertes » de transition en matière de transport stimulent principalement la demande de véhicules privés. Mais plus nous réduirons l’intensité des ressources dont ils dépendent, moins la pression sera forte sur la biodiversité mondiale et sur les communautés vivant autour des zones minières actuelles et potentiellement futures.
Si nous optons pour un « changement radical et véritablement systémique de la mobilité », comme l’a proposé le Groupe international d’experts sur les ressources de l’ONU dans son rapport de mars, nous pourrions réduire les besoins en matériaux de 50 %, ainsi que la demande d’énergie et les émissions de gaz à effet de serre. C’est la base de l’idée de suffisance qu’un nombre croissant d’ONG défendent dans l’UE.
Cette évolution signifie que la possession d’une voiture privée doit céder la place à des solutions moins gourmandes en ressources. Pensez à la mobilité partagée, à l’amélioration des transports publics et à l’augmentation de l’espace pour les piétons et les cyclistes. Pensez à augmenter les taxes sur les voitures privées et à réduire les subventions accordées aux entreprises dont le modèle économique, comme la vente de SUV, privilégie les profits au détriment du climat.
Il s’agit de préserver notre environnement et les droits des communautés minières locales. Mais il s’agit aussi d’équité dans la transition.
Arrêter de consommer les ressources de la planète
La quantité de minerais nécessaire à la décarbonation du Nord global, compte tenu de son niveau actuel de surconsommation, est si importante qu’elle pourrait ne pas laisser suffisamment de ressources disponibles aux nations plus pauvres pour qu’elles développent leur propre accès aux énergies renouvelables, ou celui des générations futures. En Asie-Pacifique, 150 millions de personnes n’ont pas accès à l’électricité, et ce chiffre atteint 600 millions en Afrique. Il est essentiel de veiller à ce que ces régions puissent mettre en place des infrastructures d’énergie renouvelable, loin du pétrole et du gaz.
Une grande partie des minerais nécessaires à ce changement se trouvent souvent dans leurs sols, mais sont massivement exportés à l’état brut vers les pays riches. Ces derniers ont la responsabilité de réduire leur consommation d’énergie et d’arrêter d’engloutir les ressources mondiales. Les pays en développement ont besoin d’une part équitable de ces minerais pour assurer leur propre transition et les générations futures ont besoin de ces matériaux pour leurs propres besoins.
Les nations industrialisées doivent également respecter le fait que les pays riches en minerais et les pays en développement doivent également pouvoir transformer leurs propres minerais, afin de les utiliser pour leur propre transition énergétique. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons nous assurer que tous les pays de la planète s’affranchissent des combustibles fossiles et garantir l’habitabilité de la planète.
La création récente du Groupe d’experts sur les minéraux essentiels à la transition énergétique des Nations unies montre que la question est désormais au premier plan de l’agenda mondial. C’est un bon signe, car il reste beaucoup à faire pour que la transition minière ne plonge pas le monde dans un extractivisme encore plus dévastateur. Il s’agit d’une occasion en or de veiller à ce que cela ne se produise pas, en promouvant des politiques qui réduisent la consommation de ressources du Nord et en permettant aux pays qui produisent des minerais de transition de les utiliser.
Biographie des auteurs
Beverly Besmanos est la coordinatrice nationale de Bantay Kita/Publish What You Pay Philippines. Elle a 15 ans d’expérience dans l’engagement des communautés, des gouvernements, des organisations et des institutions académiques internationales à travers la recherche-action participative et les interventions de renforcement des capacités qui promeuvent l’autonomisation des communautés dans la gestion des ressources naturelles. Son travail avec Bantay Kita consiste à promouvoir des plateformes multipartites pour traiter les impacts environnementaux et sociaux des industries extractives.
Alejandro González est chercheur sénior et avocat au sein de l’équipe Justice climatique de SOMO. Il se concentre sur les minerais critiques, la transition énergétique et la responsabilité des entreprises. Il possède une vaste expérience de l’étude des chaînes d’approvisionnement dans des secteurs tels que l’exploitation minière, les batteries, l’automobile, l’électronique grand public et les énergies renouvelables.