La Guinée équatoriale entamerait des démarches pour rejoindre un organisme de lutte contre la corruption
Blogs et actualités
La répression est incompatible avec les exigences de l’organisation qui veille à la transparence des industries extractives
(Paris) – La Guinée équatoriale cherche à rejoindre un groupe qui œuvre pour enrayer la corruption dans les pays riches en ressources naturelles, comme l’annonce aujourd’hui Human Rights Watch, EG Justice et Publiez Ce Que Vous Payez (PCQVP). L’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) exige la transparence des recettes et des activités pétrolières, gazières et minières ainsi que le respect des activités de la société civile. L’Initiative avait radié la Guinée équatoriale en 2010, notamment à cause de préoccupations liées à la répression de la société civile.
Comme ces trois organisations l’ont rappelé, avant d’accepter cette candidature, le Conseil d’administration de l’ITIE devrait étudier rigoureusement si celle-ci inclut des mesures concrètes pour mettre fin à la longue tradition de répression de la société civile dans le pays et pour établir un environnement propice à la participation des citoyens à la gouvernance des ressources naturelles. De la même manière, le Fonds monétaire international (FMI) devrait étudier cette demande d’adhésion avant de décider si elle satisfait une condition qui permettra à la Guinée équatoriale de pouvoir bénéficier d’un prêt.
« Si la Guinée équatoriale respecte les exigences de l’ITIE, son secteur pétrolier pourrait alors agir avec la transparence dont il a tant besoin tandis que les droits des citoyens à participer au débat public seraient protégés, y compris les débats à propos de la mauvaise gestion et de la corruption au niveau gouvernemental », explique Sarah Saadoun, chercheuse en droit des entreprises et droits humains pour Human Rights Watch. « Mais au vu des attaques incessantes des autorités de Guinée équatoriale contre les voix critiques, on peut se demander si cette demande d’adhésion à l’IETE est déposée en toute bonne foi ou si l’objectif est de remplir une condition leur permettant d’obtenir un prêt du FMI ».
La Guinée équatoriale est une petite nation centrafricaine riche en pétrole, dirigée par le président Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, qui a accumulé une immense richesse pour lui-même et sa famille au cours de ses 40 années au pouvoir. Gabriel Mbaga Obiang Lima, fils du président et également ministre des mines et des hydrocarbures, avait prononcé un discours lors de la conférence mondiale de l’ITIE le 18 juin 2019 à Paris, au cours duquel il a annoncé l’intention de son pays de déposer sa candidature pour joindre de nouveau l’Initiative. Si cette candidature était acceptée, elle remplirait la condition finale qui permettrait aux autorités d’obtenir une enveloppe de prêts de la part du FMI dans le cadre de l’un de ses programmes actuels.
Cependant, comme le soulignent les organisations, la possibilité d’obtenir un prêt du FMI sans réforme profonde et véritable de la gouvernance soulève d’importantes préoccupations, étant donné les antécédents du gouvernement en matière de corruption et de mauvaise gestion financière. Cette situation contribue directement aux résultats du pays en matière de santé et d’éducation, nettement inférieurs aux moyennes régionales, alors même qu’il affiche le revenu par habitant le plus élevé du continent africain.
Pour rejoindre l’ITIE, un pays a pour obligation d’établir un comité national, composé de responsables gouvernementaux et de représentants du secteur privé et de la société civile, et chargé d’élaborer un plan pour se mettre en conformité avec les normes de l’Initiative. Ce plan doit divulguer les informations clés relatives à la gouvernance des entreprises pétrolières, gazières et minières et confirmer que le gouvernement favorise « un environnement propice pour la société civile ». La Guinée équatoriale a en effet établi un tel comité, bien que les membres de sa société civile risquent des représailles s’ils s’expriment contre le gouvernement.
La Guinée équatoriale a rejoint l’ITIE en 2007, avant d’en être radiée par son Conseil d’administration en 2010. Le harcèlement documenté d’un défenseur de la bonne gouvernance, Alfredo Okenve, par le gouvernement, est emblématique de l’intolérance des autorités face à toute contestation. Okenve représentait la société civile au sein du Comité de pilotage de l’ITIE de 2007 à 2010 puis de nouveau de 2015 à 2017, et il est également le vice-président de l’une des rares organisations indépendantes de défense des droits humains dans le pays.
En mai 2010, il a été destitué de son poste à l’Université nationale de Guinée équatoriale après avoir critiqué le manque de transparence du gouvernement durant un événement organisé à Washington D.C. Il a démissionné de l’ITIE en 2017 après avoir été détenu dans un poste de police pendant deux semaines jusqu’à ce qu’il accepte de s’acquitter d’une amende de plus de 3 000 $, imposée de manière arbitraire. En octobre 2018, quatre hommes qui étaient vraisemblablement des agents de sécurité infiltrés l’ont traîné hors de sa voiture en le menaçant à bout portant, avant de l’emmener dans un endroit isolé où ils l’ont roué de coups. Il y a trois mois, la police l’a empêché de quitter le pays.
Les représailles du gouvernement à l’encontre d’Okenve ont attiré l’attention de la communauté internationale mais de nombreux autres exemples semblables de répression contre des membres de la société civile sont passés largement inaperçus. Par exemple, Joaquin Elo Ayeto, qui militait en faveur de la bonne gouvernance et appartenait également à un groupe politique de l’opposition, est placé en détention provisoire dans la prison Black Beach de Malabo depuis le 25 février, apparemment pour avoir exprimé des critiques à l’encontre des priorités de dépenses du gouvernement.
Deux représentants de la société civile siégeant au comité national de l’ITIE, qui ont demandé à ne pas être nommés par crainte des représailles, ont confié que la répression de la société civile s’était aggravée ces dernières années. Selon l’un d’entre eux, « ce n’est pas pour nous, qui siégeons au comité de l’ITIE, qu’il faut instaurer un « environnement propice ». C’est pour que la société civile puisse bénéficier d’un espace d’action ». L’autre représentant a quant à lui ajouté : « Le gouvernement ne respecte pas la société civile et ne dialogue pas avec elle au-delà de l’ITIE. On n’observe aucun progrès. Le gouvernement tente simplement de se conformer à l’ITIE dans le but d’obtenir le prêt [du FMI] ».
« La légitimité de l’ITIE en tant qu’outil de lutte contre la corruption s’en trouvera amoindrie si les gouvernements peuvent instrumentaliser le processus d’adhésion pour améliorer leur image sans faire preuve de la volonté politique requise ni d’un véritable engagement à respecter la société civile », conclut Tutu Alicante, directeur exécutif d’EG Justice, une organisation qui défend les droits humains et la bonne gouvernance en Guinée équatoriale. « Il serait irresponsable d’accorder le bénéfice du doute à la Guinée équatoriale alors qu’un militant anti-corruption croupit dans une prison surpeuplée depuis février pour avoir apparemment osé critiquer les dépenses publiques ».