Au-delà des solutions économiques : principes autochtones pour une transition juste
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Neuf ans ont passé, et mon peuple – avec plus de 600 000 personnes, organisations et municipalités – comparaît actuellement au tribunal pour demander justice contre la société de minière BHP. En 2015, nous avons tout perdu suite à la rupture d’un barrage de résidus miniers près de Mariana, dans l’État du Minas Gerais au Brésil. D’innombrables familles, dont la mienne, ont perdu leurs maisons, leurs terres et leur eau. Nos modes de vie ont changé du tout au tout. Les communautés de Krenak, Pankararu et Quilombolas, touchées par la catastrophe, ne comparaissent pas pour demander de l’argent. Nous demandons justice. Une justice qui ne ramènera jamais les vies, les écosystèmes, les plantes et les animaux que nous avons perdus, pas plus que notre grand-père, notre fleuve ancestral Rio Doce, que nous appelons affectueusement Watu.
Les transformations que les sociétés minières ont imposées à notre région n’ont jamais été justes, bénéfiques ou positivement accueillies par nos communautés. Les tragédies comme celles de 2015, à l’instar de nombreuses autres injustices, doivent cesser. Et pour ce faire, notre voix doit être entendue.
Les dirigeant·e·s autochtones du monde entier ont récemment fait valoir qu’il devenait urgent d’intégrer les approches et connaissances autochtones dans les stratégies mondiales de transition énergétique. C’est dans ce contexte qu’une vision commune a été élaborée lors d’un sommet historique en Suisse. Avec l’augmentation de la demande en minerais de transition, utilisés pour produire des énergies renouvelables en remplacement des combustibles fossiles, cette démarche est essentielle. Nous devons empêcher la création de nouvelles zones minières sacrifiées au nom du combat contre la crise climatique.
Les pays ayant invariablement échoué à protéger les droits des peuples autochtones, l’exploitation minière continue de nuire à nos communautés. De nombreux territoires autochtones, comme la vallée de Jequitinhonha au Brésil, Atacama au Chili et les communautés Uro en Bolivie, sont riches en minerais de transition. Les sites sacrés, l’eau et les terres des personnes qui y vivent sont exposés à de graves menaces.
Ainsi, dans la communauté de Piauí Poço Dantas à Itinga (vallée de Jequitinhonha), où sont implantées les sociétés productrices de lithium Sigma, Atlas et CBL, Djalma Gonçalves, jeune homme du peuple Aranã Caboclo, m’a appris que la population locale souffrait de problèmes respiratoires dus à l’extraction du lithium et aux poussières en suspension dans l’air. Je me suis rendu sur place, et j’ai pu constater les fissures dans les murs des maisons et les obstructions dans les rues, qui compliquent l’accès aux communautés pour les ambulances et d’autres services publics. Le fleuve est sale et à l’agonie. Djalma l’a exprimé clairement : « La vallée de Jequitinhonha devient une zone sacrifiée sur l’autel de l’économie verte ».
Nous ne pouvons pas lutter contre la crise climatique en ignorant les répercussions sociales et culturelles de l’exploitation minière, comme les déplacements et la perte des moyens de subsistance. Les militant·e·s autochtones préconisent une action de transformation qui honore les démarches autochtones, favorise la guérison de la nature et intègre la justice environnementale, sociale et économique au-delà de la simple marchandisation des ressources.
Nous exigeons que soit respecté notre droit à dire non
Tout d’abord, notre droit au consentement libre, préalable et éclairé (CLPE) doit être respecté. Nous devons pouvoir accorder ou refuser le consentement relatif à tout projet d’extraction qui nous affecte, comme le garantit la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. En outre, l’autodétermination, la gouvernance, le patrimoine culturel et les droits fonciers sont des piliers essentiels de toute solution concrète.
Les peuples autochtones cherchent également à participer activement aux processus décisionnels qui influent sur les politiques énergétiques et environnementales pour respecter les engagements climatiques, dans des cadres tels que l’Accord de Paris.
La justice et les politiques économiques doivent dépasser le simple cadre de l’indemnisation financière des pertes et dommages liés au climat. Les peuples autochtones doivent avoir les moyens d’agir et ne pas être des bénéficiaires passifs de politiques ou de fonds publics : ils doivent être impliqués directement dans la planification et l’exécution des changements aux côtés des décisionnaires.
Malgré l’essor de la participation des peuples autochtones à des événements internationaux, tels que les COP et les forums de l’OCDE, nous faisons toujours face à des défis importants. La défense de nos terres contre les projets d’extraction nous expose souvent à la violence, à l’intimidation et à la criminalisation. Les sites sacrés restent menacés en raison de protections juridiques inadaptées.
Placer ensemble les connaissances autochtones au centre de la transition
Inondations, sécheresses et chaleurs extrêmes frappent de nombreuses régions du monde, telles que la vallée de Jequitinhonha. Les systèmes actuels sont axés sur l’agriculture industrielle, l’exploitation minière et la surconsommation, qui continuent de dégrader l’environnement. Or, ce dont nous avons besoin, c’est d’une approche durable et équitable, qui favorise une nouvelle relation avec la Terre, la restauration des forêts et la protection des sources d’approvisionnement en eau. Les connaissances autochtones sont essentielles pour nous guider vers des valeurs de guérison, de soins et de développement durable. La promotion de cette vision doit être une action conjointe menée par les citoyen·ne·s et les organisations de la société civile. Il leur revient de :
- plaider pour l’implication directe des peuples autochtones dans l’élaboration des politiques, en particulier les projets de minerais de transition et d’énergies renouvelables qui ont un impact sur leurs terres. Pour ce faire, il est nécessaire d’inclure activement les connaissances autochtones dans l’élaboration des politiques, notamment en mettant en œuvre des protocoles communautaires pour le CLPE et en créant des mécanismes visant à s’assurer que les peuples autochtones dirigent l’ensemble du cycle des projets : analyse, suivi, évaluation et partage des avantages;
- créer un réseau de soutien pour apporter des protections juridiques, garantir un accès à la justice et assurer la sécurité des défenseur·se·s de l’environnement et des peuples autochtones. L’heure est venue de concrétiser la promotion et l’application des cadres juridiques pour en faire des plans d’action. La région Amérique latine et Caraïbes peut endosser un rôle de leadership clair en alignant les politiques nationales sur les accords de Paris et d’Escazú, ainsi que sur la Convention sur la diversité biologique.
Ce sont les voix et les connaissances des peuples autochtones, dont les terres et les vies sont souvent sacrifiées pour des objectifs économiques mondiaux, qui doivent montrer le chemin vers une transition juste. Une transition juste ne recouvre pas seulement les dimensions énergétique ou économique : elle passe par un rééquilibrage, le respect de notre patrimoine culturel et la préservation de la Terre pour les générations futures.