Après presque dix ans d’absence, le Gabon a réintégré l’ITIE. Publiez Ce Que Vous Payez Gabon a joué un rôle essentiel dans ce processus. Paul Aimé Bagafou présente les leçons apprises en cours de route.
Le chemin du Gabon en vue de sa réintégration à l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE), la norme mondiale pour assurer une gouvernance appropriée des ressources pétrolières, gazières et minières, s’est avéré long et difficile.
A plusieurs reprises, les chances permettant à notre pays de recouvrer le statut de membre de l’ITIE, perdu en 2013, semblaient bien minces. Nous avons été confronté·e·s à de nombreuses difficultés, notamment lorsque PCQVP Gabon et d’autres groupes de la société civile ont fait l’objet de harcèlement et d’intimidation.
Et pourtant, nous n’avons jamais fléchi, jouant un rôle fondamental dans le cadre de la réintégration du Gabon à l’ITIE en octobre 2021.
Nous avons maintenant la possibilité d’écrire un nouveau chapitre de l’histoire de notre secteur extractif : un secteur qui a longtemps été mis à mal en raison de sa gestion inappropriée et de la corruption l’entourant, sans oublier les groupes d’intérêt qui ont accaparé le butin provenant de nos abondantes ressources naturelles aux dépens des citoyen·ne·s gabonais.
Le récit de ce chemin accompli, les revers et les progrès réalisés en cours de route, offre des leçons marquantes aux organisations de la société civile du monde entier qui doivent faire face à des obstacles similaires, pour veiller à une plus grande redevabilité et transparence des industries extractives de leurs pays.
Une fenêtre d’opportunités
Tout d’abord, il convient de souligner quelques éléments contextuels essentiels.
Cinquième producteur de pétrole d’Afrique et doté d’autres richesses naturelles, notamment des forêts tropicales et des sols fertiles, le Gabon a connu une croissance économique plutôt forte au début des années 2010, ce qui lui a permis d’accéder au statut de pays à revenu intermédiaire, même si une grande partie de la population est restée prisonnière de la pauvreté.
Le pétrole représente 80 % des exportations du Gabon et 45 % de son PIB, mais notre forte dépendance à son égard nous a mal préparé·e·s lorsque les turbulences sont survenues.
Celles-ci sont arrivées avec le choc pétrolier de 2014, les violences politiques qui ont éclaté à la suite des élections de 2016, puis la pandémie de COVID-19.
La pauvreté et le chômage ont augmenté, la croissance économique a marqué le pas, nos réserves de change ont diminué et les filets sociaux protégeant les plus pauvres de la société se sont désintégrés.
En désespoir de cause, en 2017, le Gabon s’est tourné vers le Fonds monétaire international (FMI) pour recevoir du soutien.
Ainsi, la société civile a eu l’occasion de faire pression en vue de la réintégration du Gabon à l’ITIE, révoquée en 2013 après avoir omis de soumettre son rapport de validation dans les délais impartis.
Notre coalition a insisté pour que l’accès aux fonds du FMI soit conditionné au retour du Gabon à l’ITIE. Notre gouvernement a accepté. Par conséquent, un espace dédié à la société civile a été instauré. Cependant, nous avons d’abord dû nous organiser. Une société civile légitime et organisée qui peut participer librement au contrôle des activités extractives constitue une condition préalable à la réintégration à l’ITIE. Et nous en étions loin.
Sous pression
Pour les organisations de la société civile (OSC), les années qui ont suivi l’éjection du Gabon de l’ITIE ont été sombres.
Le groupe de la société civile travaillant sur l’ITIE s’est effondré, et les membres de la coalition PCQVP au Gabon ont dû faire face à une pression intense de la part des autorités.
Marc Ona Essangui, alors coordinateur national de PCQVP Gabon et membre du comité multipartite chargé de mettre en œuvre l’ITIE du Gabon, et Georges Mpaga, qui ont créé la coalition de PCQVP en 2007, ont tous deux été victimes de harcèlement.
En 2013, par exemple, Marc Ona Essangui a été condamné à six mois de prison avec sursis et à une amende de cinq millions de francs CFA pour diffamation contre le chef de cabinet du président du Gabon, après avoir affirmé qu’il possédait la filiale locale du groupe agroalimentaire singapourien Olam.
Remettre les OSC sur les rails
Finalement, ces obstacles ont été surmontés.
Après une première tentative infructueuse en 2018, PCQVP Gabon a finalement réussi à réunir l’ensemble des acteur·rice·s de la société civile travaillant sur la bonne gouvernance du secteur extractif, à les former sur le fonctionnement de l’ITIE et à organiser un vote inclusif pour élire les représentant·e·s au groupe multipartite de l’ITIE.
Nous avons adopté une charte sur la représentation de la société civile au sein de l’ITIE et – point crucial -, nous avons intégré les organisations de femmes au cœur du processus.
Pour mener à bien ce travail, nous avons reçu le soutien technique et financier du secrétariat international de PCQVP, dans le cadre de ses efforts continus visant à renforcer et à étendre l’influence de la société civile dans l’ITIE.
Enfin, en 2021, nos efforts ont été récompensés et le Gabon a été réintégré au sein de l’ITIE.
Des avantages tangibles
Pour la société civile, les avantages du retour du Gabon dans l’ITIE sont incommensurables.
Lorsque le Gabon était exclu de l’Initiative, la société civile se retrouvait les mains liées alors qu’elle tentait de renforcer la redevabilité et la transparence du secteur extractif.
Nous n’avions aucun moyen de pression réel pour obtenir la divulgation des contrats pétroliers, ou encore des rapports d’évaluation de l’impact social et environnemental. Nous étions paralysé·e·s dans nos activités visant à défendre les intérêts des communautés directement touchées par l’extraction.
Le vent est en train de tourner, la réintégration du Gabon à l’ITIE porte déjà ses fruits.
En juin 2022, par exemple, le groupe multipartite de l’ITIE a adopté son plan de travail. Nous disposons maintenant d’une feuille de route pour renforcer la gouvernance et la transparence dans le secteur extractif gabonais. Ce plan veille à la durabilité de la croissance économique insufflée, pour qu’elle profite à l’ensemble de la population, et contribue à leur prospérité. Grâce à la société civile, ce plan inclut des travaux visant à garantir que les communautés bénéficient davantage des projets extractifs par le biais de transferts infranationaux. La société civile a également réussi à faire en sorte que le plan de travail intègre des activités qui favoriseront la transparence des contrats, notamment une étude diagnostique sur les mécanismes de transparence et de contrôle citoyen pour l’attribution des contrats, des licences, etc.
Des leçons essentielles
Un certain nombre de leçons importantes peuvent être tirées de notre parcours pour réintégrer l’ITIE :
- disposer d’une coalition résiliente est indispensable pour identifier les opportunités permettant la réalisation des objectifs. Une société civile divisée est synonyme d’échec, mais il existe toujours des solutions ;
- les autorités et les entreprises résistent souvent au changement et peuvent considérer la société civile avec méfiance, bien que notre objectif consiste à améliorer le quotidien des personnes. Les OSC doivent donc assurer la collaboration la plus positive possible, afin que la confiance s’installe et que des progrès soient réalisés. Ces efforts peuvent nécessiter du temps ;
- la société civile doit s’approprier la lutte. Les autorités doivent également se rendre compte que la société civile dans son ensemble est mobilisée, et que cette mobilisation inclut les personnes qui travaillent directement avec les communautés affectées par les projets extractifs, ainsi que les communautés elles-mêmes. Les OSC doivent être capables de se déplacer librement et sans crainte pour favoriser cet engagement auprès des communautés, et contribuer à leur autonomisation ;
- le guide de l’ITIE à l’intention de la société civile représente un outil pratique, contenant des mesures concrètes permettant aux OSC de maximiser leur influence, notamment la sélection des meilleur·e·s représentant·e·s de la société civile, et de veiller à leur redevabilité à l’égard des collèges ;
- les OSC doivent s’efforcer d’accroître leur visibilité en participant à toutes les activités liées à leur problématique. Cela leur permet d’afficher leur expertise et de mettre en avant la précieuse contribution sociétale qu’elles peuvent apporter ;
- avant tout, les OSC ne doivent pas se décourager. Veiller à ce que les citoyen·ne·s bénéficient des ressources naturelles de leur pays est un travail de longue haleine. Constater des progrès peut prendre du temps.
Le statut ITIE retrouvé du Gabon témoigne de la détermination de notre coalition.
Mais ce n’est qu’une étape d’un long voyage. Pour atteindre notre objectif visant un secteur extractif durable, redevable et transparent, de nouveaux défis nous attendent, et nous sommes prêt·e·s à les relever.
Paul Aimé Bagafou est le Coordinateur national de PCQVP au Gabon. Fervent défenseur des droits humains et fort de plus de 21 ans d’expérience dans le secteur associatif, Paul Aimé a fondé l’ONG Observatoire citoyen des industries extractives (OCIE) en 2016. Il possède une solide expertise dans le secteur des hydrocarbures : il a notamment été secrétaire général de l’Organisation nationale des employés du pétrole (ONEP) du Gabon de 2013 à 2017.