Mettre fin à la dépendance néfaste de l’Irak vis-à-vis du pétrole 

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Cet article a d’abord été publié en version courte dans le média Annahar.

La transparence est essentielle en vue d’une transition énergétique juste, écrit la militante irakienne Nuralhuda Muntazar Hassan al-Fadli.

Ma mère m’a fait prendre conscience de la contribution positive qu’une personne peut apporter à la société. Ancienne militante sociale, je l’accompagnais pendant mon enfance dans les provinces situées à l’extérieur de Bagdad lorsqu’elle participait à des ateliers. Ces événements m’ont sensibilisée aux droits des femmes, à l’autonomisation des jeunes, à la consolidation de la paix, ainsi qu’aux difficultés rencontrées par l’industrie pétrolière irakienne.

Une question revenait dans la plupart de ces discussions : pourquoi le niveau de vie des Irakien·ne·s est-il si bas alors que nos réserves de pétrole sont si importantes ? Aujourd’hui, ce problème demeure plus urgent que jamais. L’Irak possède la cinquième plus grande réserve de pétrole au monde, mais notre pays est meurtri par la pauvreté et le chômage. 

Cette réalité m’a inspirée, comme bien d’autres personnes, à plaider en faveur de la transparence de notre secteur pétrolier. Sans cette transparence, l’immense richesse que génère le secteur pétrolier irakien ne peut être répartie équitablement : c’est-à-dire au profit de l’ensemble des Irakien·ne·s, et non d’un groupe restreint d’élites. 

À l’âge de dix ans, nous avons participé à un atelier à Erbil, dans le Kurdistan irakien, et je me souviendrai à jamais d’une phrase prononcée par l’instructeur : « Il vous sera impossible de faire valoir vos droits à moins de connaître les détails : le diable se cache dans les détails ». Or, les détails des contrats pétroliers conclus sont en grande partie cachés au peuple irakien. Tenter de les découvrir revient en quelque sorte à essayer de résoudre les mystères de l’univers.

L’absence de transparence entraîne des actes de corruption, ainsi que la suspicion et la colère du peuple irakien. La désillusion des Irakien·ne·s a atteint son paroxysme en octobre 2019, quand des dizaines de milliers d’entre eux·elles sont descendu·e·s dans la rue pour protester contre la chute de notre niveau de vie, le taux de chômage élevé, le délabrement des services publics, ainsi que d’autres problèmes, notamment l’érosion des droits des femmes

Bon nombre de mes semblables ont perdu confiance envers leur gouvernement, constatant l’évaporation de milliards de dollars de recettes pétrolières des caisses publiques, le gaspillage de sommes considérables dans des projets sans intérêt pour les citoyen·ne·s ordinaires, la recrudescence de la contrebande de pétrole et l’attribution des quotas pétroliers selon des critères sectaires et partisans.

Répondre aux besoins fondamentaux

Pourtant, nous devons cesser de dépendre des revenus générés par le pétrole pour que l’Irak vienne à bout de ces problèmes. 

Deux principales raisons sont à l’origine de ce constat. Tout d’abord, la survie de la planète dépend de notre capacité à réduire radicalement l’utilisation des combustibles fossiles et à assurer la transition vers un avenir à faibles émissions de carbone. Ensuite, nous devons protéger notre économie de la volatilité du marché qui a provoqué l’effondrement des prix du pétrole en 2020, réduisant de moitié les revenus pétroliers à un moment donné, ainsi que d’autres ondes de choc, comme la capture de certains champs pétroliers de l’Irak par l’EILL en 2014. Lorsque les budgets et les dépenses des gouvernements reposent presque entièrement sur les recettes pétrolières, un effondrement soudain des prix voire une crise peut exposer les populations à des difficultés extrêmes.  En Irak, lorsque les prix du pétrole s’effondrent, il en va de même pour les emplois et les revenus de nombreuses personnes.  

Le pétrole représente 90 % des revenus du gouvernement. Je suis pharmacienne clinicienne de profession et mon salaire provient de l’industrie extractive, au même titre que la plupart de mes ami·e·s. Pourtant, lorsque l’EILL avait la main mise sur les champs pétrolifères irakiens, certain·e·s n’ont pas été payé·e·s pendant six mois.

La diversification de notre économie grâce au tourisme, à l’agriculture et à d’autres industries, tout en assurant la transition vers des énergies propres, revêt donc une importance capitale, non seulement d’un point de vue environnemental, mais également sur le plan économique : si nous continuons à accroître notre production de combustibles fossiles alors que le monde s’en détourne, nous risquons de nous retrouver avec des « actifs échoués ». Entre autres, nous disposerions de réserves de pétrole, d’infrastructures et d’autres actifs, dont la valeur diminuerait rapidement. Les pays comme le nôtre, où les coûts de production s’avèrent élevés, seront particulièrement vulnérables à ce phénomène à mesure de l’accélération de la transition énergétique.  

Compte tenu de la dépendance écrasante de l’Irak à l’égard du pétrole, dans quels délais pouvons-nous, de manière réaliste, mettre fin à notre dépendance à son égard ? De nouvelles recherches menées par des universitaires de l’université de Manchester, à la demande de l’Institut international du développement durable (IIDD), ont apporté une réponse : elles estiment que si nous entamons la transition maintenant, nous pourrons éliminer progressivement la production de pétrole et de gaz d’ici à 2050. Selon les auteurs, tout retard entraînera des changements plus rapides par la suite, qui seront plus difficiles à rattraper. 

Garantir la transparence, une étape cruciale

Nous devons comprendre l’influence qu’exerce la transition énergétique sur les revenus du gouvernement. Nous devons également déterminer le type d’impact des projets d’extraction actuels et futurs sur les populations et l’environnement. 

Pour y parvenir, des informations essentielles sont bien souvent gardées secrètes dans les contrats d’extraction liant les entreprises et nos autorités. C’est pourquoi moi-même, ainsi que d’autres membres de Publiez Ce Que Vous Payez (PCQVP), un mouvement mondial œuvrant pour la transparence et la responsabilité dans les industries extractives, demandons la divulgation complète de tous les contrats relatifs aux ressources pétrolières, gazières et minières en Irak dans le cadre de la campagne #DiscloseTheDeal. Les Irakien·ne·s ont le droit de connaître les modalités des contrats signés par les autorités. En procédant à leur publication, notre nouveau gouvernement mettrait fin à des décennies d’opacité et entamerait un nouveau chapitre de l’histoire de notre pays.

En tant que pays membre de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE), depuis janvier de l’année dernière, l’Irak aurait déjà dû publier tous les nouveaux contrats extractifs conclus, ce qui n’est pas encore le cas. Par exemple, un important contrat à hauteur de 27 milliards de $ signé l’année dernière avec TotalEnergies est toujours caché au public, et PCQVP, qui opère sous la bannière de l’Iraqi Transparency Alliance for Extractive Industries (ITAEI), demande sa divulgation

Et ce n’est pas tout. Nous réclamons également l’adoption d’une nouvelle loi sur la réduction des émissions de carbone pour imposer aux entreprises extractives de divulguer les répercussions de leurs activités sur l’environnement, et de s’efforcer de les atténuer dans tout contrat conclu à l’avenir.

Mettre fin à notre dépendance vis-à-vis du pétrole 

Si vous évoquez un avenir à faibles émissions de carbone, la plupart des Irakien·ne·s vous diront qu’il faut d’abord répondre à leurs besoins fondamentaux. Naturellement, ils·elles se sentent davantage préoccupé·e·s par la fin des pénuries chroniques d’électricité dont l’Irak souffre depuis des décennies que par la durabilité environnementale. Les conflits qu’a connus l’Irak ces dernières années se sont avérés dévastateurs pour bon nombre de personnes de ma génération, désireuses de quitter le pays. 

Nous devons les écouter et répondre à leurs préoccupations. Nous devons les sensibiliser aux pièges que notre dépendance au pétrole nous tend. Beaucoup d’autres jeunes Irakien·ne·s peuvent entrevoir la voie vers un avenir plus radieux : ils·elles doivent avoir leur mot à dire et influencer les processus décisionnels. Ils·elles croient profondément au changement, et placent leur confiance envers la société civile irakienne, dont la position s’est renforcée ces dernières années, bien que les femmes demeurent largement sous-représentées. 

Si nous parvenons à mener à bien notre campagne en faveur d’un secteur pétrolier responsable et transparent, nous mettrons fin à notre dangereuse dépendance vis-à-vis de ce secteur. L’Irak a longtemps été un leader parmi les nations productrices de pétrole, et notre loi 80 de 1961 a été un tournant pour les pays désireux d’obtenir la souveraineté sur leurs ressources naturelles. Aujourd’hui, nous avons la possibilité de jouer ce rôle de leader mondial en abandonnant les combustibles fossiles. 

Biographie : Nuralhuda Muntazar Hassan al-Fadli est une pharmacienne de 24 ans, militant en faveur de la transparence et l’environnement, qui vit et travaille à Bagdad.

 

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