Retour sur la dernière conférence mondiale de l’ITIE : pour instaurer un climat de confiance, l’ITIE doit continuer d’évoluer
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La conférence mondiale 2019 de l’ITIE a eu lieu à Paris la semaine dernière sous le slogan “Open Data, Build Trust” [ouvrir les données, instaurer un climat de confiance]. Comme toujours, ce fut un plaisir et une grande inspiration de retrouver les centaines de participants de toute la coalition PCQVP. Au nom de tous les individus et les organisations qui donnent sa force à notre mouvement, nous avons exhorté l’ITIE à maintenir un cap ambitieux : plus de transparence, une participation réelle de la société civile à la gouvernance du secteur extractif, un engagement fort en faveur de l’égalité des sexes et une réponse lucide à la crise climatique.
C’était une réunion conviviale et productive. J’en suis revenue avec le sentiment que la direction de l’ITIE a conscience qu’elle doit consolider ses accomplissements (déjà considérables), tout en reconnaissant le besoin – et l’opportunité – d’évoluer.
Passer de la transparence à la redevabilité
Pour faire face aux nouveaux défis du moment, l’ITIE doit s’adapter. L’adaptation n’est pas seulement nécessaire, c’est une formidable opportunité de renforcer son impact sur le terrain. Cette opportunité est aussi la nôtre. Avec le reste de la société civile, la coalition PCQVP peut contribuer à dessiner les contours du changement que nous revendiquons. Le travail déjà effectué par l’ITIE doit être une motivation pour nous. Et, plus important, nous devons continuer à faire pression ensemble.
La tendance la plus prometteuse que j’aie pu observer à la conférence est le passage de la transparence à la redevabilité. En voici deux exemples.
Transparence des contrats – les représentants de plusieurs États se sont engagés à faire davantage pour la transparence des contrats. La Tanzanie a ainsi annoncé la création d’une plateforme en ligne pour publier les contrats. Du côté des entreprises, Total et Rio Tinto ont également passé la vitesse supérieure ; il était particulièrement encourageant de voir Rio Tinto publier une première liste de ses licences et contrats les plus importants sur son site web en amont de la conférence. La publication des contrats permet aux citoyens d’accéder aux droits et aux obligations qui relèvent de l’intérêt public : la redevabilité mise en pratique.
Égalité des sexes – Comme je l’ai écrit il y a quelques mois, les inégalités hommes-femmes sont encore trop souvent ignorées dans les activités de l’ITIE, en particulier à l’échelle nationale et dans les groupes multipartites. Certes, les progrès sont lents, mais la question du genre est de plus en plus prise au sérieux. Un certain nombres d’engagements concrets ont été formulés à la conférence, notamment de la part des gouvernements français, arméniens et canadiens, et des entreprises comme BHP Billiton et Rio Tinto, pour garantir la redevabilité du secteur extractif vis-à-vis des habitantes des pays riches en ressources naturelles.
Au-delà de ces aspects positifs, la conférence a aussi été une piqûre de rappel : il reste encore un long chemin à parcourir pour que la vision défendue par l’ITIE se concrétise pour les populations qui en ont le plus besoin.
Un long chemin à parcourir
Pour commencer, il existe des soupçons crédibles de corruption sur des compagnies soutenues par l’ITIE, pour des montants estimés à centaines de millions de dollars, souvent dans des pays membres de l’ITIE tels que le Nigéria ou le Sénégal.
Des révélations explosives sur des pots-de-vin dans le secteur pétrolier au Sénégal ont éclaté à quelques jours de la conférence. Bien sûr, l’ITIE elle-même ne peut être mise en cause dans ces scandales. Il n’empêche qu’elle doit offrir une meilleure réponse aux populations des pays riches en ressources naturelles qui lui demandent des solutions concrètes.
En bref : elle doit redonner aux populations de l’espoir et les moyens de faire entendre leur voix. L’arrivée d’une nouvelle présidente dynamique, Helen Clark, et d’un nouveau conseil d’administration présagent d’un partenariat plus ambitieux encore avec la société civile.
Et ensuite ?
À l’issue de cette conférence mondiale, les priorités pour les mois à venir sont claires :
Changement climatique : Signe des temps, le mot était sur toutes les lèvres pendant la conférence. Pour autant, aucune action concrète n’a été menée par l’ITIE jusqu’ici. Il est important que l’ITIE contribue à lever le voile sur les risques financiers que la crise climatique fait courir au secteur des énergies fossiles et aux pays riches en énergies fossiles, afin de soutenir une transition juste et équitable vers une économie décarbonée. La hausse de la demande en métaux nécessaires à la transition énergétique (cuivre, lithium, cobalt, etc.) présente d’autres risques concernant la gouvernance, la fiscalité, les finances, l’environnement ou la santé. En faisant progresser la transparence, l’ITIE a le pouvoir de réduire ces risques.
Inégalités hommes-femmes – comme je l’ai écrit plus haut, la “révolution de la transparence” que défend l’ITIE dans le secteur extractif a apporté peu d’amélioration, voire pas du tout, dans la vie des femmes des populations affectées. L’ITIE doit insister davantage pour que les expériences uniques des femmes et leurs besoins spécifiques soient intégrés dans ses rapports et ses mécanismes de divulgation. Les données ventilées selon le genre doivent devenir partie intégrante de l’ADN d’initiatives comme l’ITIE ou le PGO.
Garantir la sécurité des militants – Les attaques récentes inadmissibles dont a fait les frais Alfredo Okenve Ndoho en Guinée Équatoriale, ainsi que les récentes menaces de mort reçues par Jean-Claude Katende (ancien membre du conseil d’administration de l’ITIE) en République Démocratique du Congo, sont autant d’exemples des menaces graves qui pèsent sur le dialogue tripartite entre la société civile, les États et le secteur privé. L’ITIE doit élever la voix pour protéger ses collègues de la société civile qui font preuve d’un courage exemplaire. Il en va de l’existence même de notre modèle participatif.
Contrats – Les promesses formulées lors de la conférence en matière de transparence des contrats, qui résultent d’une collaboration multipartite au sein de l’ITIE, ont été bien accueillies. Mais ces initiatives doivent devenir la norme pour les entreprises. Elles doivent par ailleurs être étendues aux contrats à l’échelle locale et aux entreprises d’État.
S’il fallait retenir un seul chiffre en conclusion, c’est celui-ci : 1,5 milliard de personnes vivent encore sous le seuil de pauvreté, nombre d’entre elles dans des pays riches en pétrole, gaz, minéraux et autres ressources naturelles. Alors que les États et les entreprises continuent de brasser des milliers de milliards de dollars dans le plus grand secret, les populations n’en voient jamais la couleur – que ce soit dans l’éducation, la santé, ou simplement l’assurance d’une existence décente.
Au bout du compte, la question est de savoir si (et comment) l’ITIE contribue à améliorer le quotidien des gens aujourd’hui. Dans les pays membres, aucun élément probant ne permet encore de l’affirmer. Partout dans le monde s’affirme en revanche une demande grandissante pour plus de transparence, plus de redevabilité, et plus de changement.